Hyperactif à l’étranger, Emmanuel Macron peine chez lui


L’écrivain est directeur éditorial et chroniqueur au Monde

Le 19 janvier, Emmanuel Macron se rend à Barcelone pour signer un traité d’amitié bilatéral avec l’Espagne. Trois jours plus tard, lors d’une grande cérémonie à la Sorbonne, la France et l’Allemagne donneront un coup de pouce bien mérité à leur relation privilégiée en célébrant le 60e anniversaire du traité de l’Elysée signé par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.

A la française, ce festin diplomatique risque d’être entaché d’une nouvelle vague de troubles sociaux. Lorsque Macron sera à Barcelone, les syndicats et les partis d’opposition descendront dans la rue, après avoir promis « la mère de toutes les batailles » pour faire échouer la réforme des retraites prévue par le gouvernement. Personne n’ose prédire si la manifestation s’arrêtera là ou se transformera en quelque chose de plus grand.

Ainsi va la vie du président français, presque un an après son second mandat : ​​champion de la souveraineté européenne et diplomate hyperactif à l’étranger ; impopulaire et considéré comme un réformateur têtu chez lui.

Mais est-il encore un réformateur ?

Le choix de la Sorbonne pour la cérémonie franco-allemande n’est pas un hasard. C’est là qu’en septembre 2017, un président fraîchement élu, Macron, a exposé sa vision ambitieuse pour l’Europe, que la chancelière allemande alors très expérimentée, Angela Merkel, a ignoré. L’ambition est toujours là, Merkel est partie et Macron a définitivement marqué la scène européenne. Il peut faire face à une Allemagne différente aujourd’hui, ébranlée par la guerre en Ukraine, mais il sait que sa crédibilité en tant que leader européen dépend de sa capacité à se réformer chez lui.

Macron est entré en fonction en tant qu’homme qui débloquerait la France. Sa campagne électorale, avec ses «En Marche!» slogan accompagné d’un point d’exclamation, était destiné à mettre le pays en mouvement. Les électeurs ont apprécié l’énergie libératrice. Il fit voter une réforme des lois du travail, mais les promesses audacieuses de son premier mandat se heurtèrent bientôt à un obstacle ; la révolte traumatisante des gilets jaunes tué l’élan de son premier quinquennat. Puis deux ans de pandémie de Covid ont enterré ce qui restait de l’agenda réformiste.

Gagner un deuxième mandat dans des conditions aussi défavorables l’année dernière était un exploit, mais la magie a disparu. Le président, aujourd’hui âgé de 45 ans, fait face à un pays encore plus pessimiste, qui lui a refusé une majorité parlementaire à peine deux mois après l’avoir réélu. Ses ambitions réformistes sont peut-être intactes, mais sa capacité à livrer est encore plus compromise que lors de son premier mandat.

Son nouvel effort pour réformer le système de retraite, faisant passer l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans d’ici 2030 et augmentant la pension minimale à 1 200 €, n’est pas seulement timide par rapport aux normes européennes – c’est une version édulcorée de sa précédente tentative en 2019. Trop radicale et mal préparée, cette version a été accueillie par des grèves et des manifestations avant d’être balayée par la pandémie.

Les critiques soutiennent que le président prend à nouveau un risque énorme en faisant pression pour une réforme qui, compte tenu de l’état actuel des finances publiques, n’est même pas si urgente. Mais Macron, avec son héritage à l’esprit, s’est fixé un objectif plus large. Il ambitionne d’être le leader qui a remis la France au travail et arrêté sa glissade dans l’abîme des déficits budgétaires.

Après les politiques généreuses du « quoi qu’il en coûte » adoptées pendant la pandémie, Macron veut ramener le déficit budgétaire de la France à moins de 3 % avant de quitter ses fonctions en 2027.

La France est depuis longtemps en proie au chômage de masse. Sur ce front, Macron a quelques succès à son actif : le chômage a été ramené de 9,4 % en 2017 à 7,3 % au troisième trimestre 2022, tandis que la formation professionnelle des jeunes a été augmentée avec succès. Les Français, insiste leur président, vieillissent et doivent donc travailler plus longtemps. Mais s’il veut les convaincre, il ne peut s’agir que de chiffres. Il doit également s’agir du sens du travail lui-même.

Un débat important a lieu en France sur «la valeur travail», ou la valeur du travail, auquel s’ajoute le confinement et l’augmentation du travail à domicile (télétravail) ont donné un nouvel élan. Les effets plus profonds de la pandémie sur la société française font maintenant surface. Le personnel hospitalier est épuisé, le personnel a déserté le secteur des transports publics et les enseignants sont portés disparus. Et beaucoup de ceux qui ont un emploi sont mécontents d’un système de prestations sociales qui ne semble pas rendre le travail rémunérateur.

La question de savoir si Macron et sa première ministre, plus orientée vers les travailleurs, Élisabeth Borne, peuvent trouver un terrain d’entente avec les croyances changeantes de leurs compatriotes sera cruciale pour le sort de la réforme des retraites. Pendant ce temps, surveille de près cette bataille avec un œil sur 2027 est Marine Le Pen. Pour Macron, être remplacé par le chef du Rassemblement national d’extrême droite serait le pire héritage possible.

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