Alain Berset : « J’ai fait face à une brutalité sans précédent »

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Thomas Kern/swissinfo.ch

Après 10 ans au gouvernement, Alain Berset assume pour la deuxième fois le rôle tournant de président suisse, à compter d’aujourd’hui. Le social-démocrate rappelle les menaces auxquelles il a été confronté pendant la pandémie, évoque son rôle de chef de l’État et donne son point de vue sur l’instabilité de l’ère actuelle.

Ce contenu a été publié le 1 janvier 2023 – 10:30

SWI swissinfo.ch: Vous êtes désormais le plus ancien membre du gouvernement fédéral. Au cours des deux dernières années, vous avez dû faire face à la pandémie de Covid-19, aux critiques et aux affaires privées largement relayées dans les médias. Après avoir traversé tout cela, avez-vous encore l’énergie de gouverner ?

Alain Berset : Je suis le membre le plus expérimenté du gouvernement, mais je suis quand même le plus jeune, donc j’ai toute l’énergie nécessaire pour continuer. C’est extrêmement important d’avoir de la stabilité à un moment où nous vivons une période d’instabilité et où le contexte international est turbulent. L’expérience est très précieuse pour faire face à cette situation.

SWI: Rester au gouvernement pendant plus d’une décennie est plus courant en Suisse qu’ailleurs. Dans les pays voisins, les changements politiques se produisent plus fréquemment. Ces longues périodes au pouvoir sont-elles une bonne chose ?

AB : Cette stabilité est l’une des grandes forces de nos institutions. C’est aussi un avantage dans nos relations avec les autres pays, parce que nous sommes toujours au fait des dossiers et que nous connaissons le contexte et la marche à suivre dans notre travail.

Alain Berset dans la lettre

Alain Berset est élu au gouvernement en 2011. Alors âgé de 39 ans, il devient l’un des plus jeunes membres du gouvernement de l’histoire. Depuis lors, il dirige le ministère de l’Intérieur, où ses responsabilités incluent la santé, les assurances sociales et la culture.

Né à Fribourg en 1972, il est marié et père de trois enfants. Il a étudié la politique et l’économie à l’Université de Neuchâtel. Après avoir travaillé comme chercheur scientifique et conseiller politique, il a rejoint le Sénat, la chambre haute du Parlement suisse, en 2003 et en a été le président en 2009.

Berset a occupé la présidence suisse tournante pour la première fois en 2018. Le 7 décembre, il a été élu pour la deuxième fois par l’Assemblée fédérale (les deux chambres du Parlement réunies) pour l’année 2023. Il a obtenu 140 voix sur 181 bulletins valables. . Il avait obtenu un bien meilleur score (190 voix sur 210 bulletins valables) lors de sa première élection à la présidence en 2018.

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SUI : Quel mot d’ordre choisiriez-vous pour définir votre année présidentielle ?

AB : Je me suis toujours méfié des slogans et je n’ai pas de devise toute faite. L’expérience nous enseigne que chaque année apporte ses propres surprises. Après la pandémie et dans cette situation instable actuelle, le rôle du président est de renforcer la cohésion sociale dans le pays. À cet égard, la lutte contre les inégalités et pour l’égalité d’accès aux soins de santé, à l’éducation et à la culture est ma priorité depuis mon entrée en politique.

SUI : Vous continuerez à diriger le ministère de l’Intérieur. Cependant, certaines personnes de votre parti auraient aimé que vous repreniez le ministère des Affaires étrangères. Était-ce votre choix ou la majorité de droite au gouvernement vous l’a-t-elle imposé ?

AB : Je ne vais pas vous parler des sujets discutés en conseil des ministres, qui sont confidentiels. Les membres du gouvernement sont tenus de répartir les postes ministériels de manière à placer le pays dans la position la plus forte possible. C’est tout ce qui compte. Je considère aussi que c’est un privilège d’être à la tête du ministère de l’intérieur, car c’est le département qui a le plus d’impact sur la vie quotidienne des gens.

SUI : En tant que ministre de l’Intérieur, vous serez à nouveau amené à traiter la question complexe de la politique des retraites. Après avoir dû défendre la réforme des retraites publiques contre l’opposition de votre parti, réussirez-vous à convaincre la droite avec votre projet de réforme du deuxième pilier du système de retraite ?

AB : Pour la première fois depuis près de 30 ans, nous avons réussi à réformer le système de retraite de l’État et à stabiliser son financement. C’est une très bonne chose, car cette assurance est celle qui protège le mieux ceux qui en ont le plus besoin. En ce qui concerne le deuxième pilier, nous avons réussi, en tant que gouvernement, à rassembler les partenaires sociaux autour d’un projet commun qui favorise les femmes et les personnes aux revenus les plus faibles.

Personne ne conteste la nécessité d’une réforme, mais nous devons le faire de manière à ce que les retraites soient garanties. Les gens vivent de francs et de centimes à la fin du mois, pas de concepts ou de principes. Même si ce n’est pas facile au parlement, il va falloir proposer une réforme qui puisse rallier une majorité de la population.


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SUI : Pendant la pandémie, vous avez été la cible de nombreuses critiques et menaces. Vous avez même dû être placé sous protection policière. Y a-t-il eu des moments où vous vous êtes senti découragé et avez voulu abandonner ?

AB : Pour être honnête, oui. J’ai vécu des cas de brutalité sans précédent dans l’histoire de nos institutions. Suite aux attaques frontales de certains politiciens, une partie de la population s’est sentie autorisée à aller trop loin. J’ai eu des moments où je me suis senti déprimé et je me suis demandé: « pourquoi tu fais tout ça? » J’ai continué parce que j’ai une excellente équipe et parce qu’il s’agissait de faire au mieux pour le pays. On ne devient pas ministre juste pour inaugurer de nouveaux bâtiments ou faire de belles fêtes. Nous sommes là pour les moments difficiles. Je dois aussi dire que je me suis vraiment senti soutenu par tout le gouvernement. Pendant cette période, le gouvernement était beaucoup plus uni qu’on ne l’imagine parfois.

SUI : Quel a été le moment le plus difficile pour vous pendant la crise du Covid-19 ?

AB : La charge de travail a atteint un niveau que je n’aurais jamais imaginé supportable, couplé à une pression politique qui est allée au-delà de tout ce que j’avais connu auparavant. Mais ce sont des choses qui peuvent être gérées. Le plus difficile fut quand, au milieu de cette anxiété générale, un petit groupe d’individus isolés se mit à proférer des menaces violentes. Ce n’est pas du tout dans l’esprit suisse. Pour être honnête, c’était complètement au-delà de la pâleur. N’oublions pas que nous sommes le seul pays au monde où la gestion de la pandémie a été soumise deux fois au vote populaire. Et c’était en pleine crise.


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SUI : La crise du Covid-19 est désormais maîtrisée, mais le pays fait face à de nouvelles crises : la crise climatique, la crise énergétique, la guerre en Ukraine, l’inflation. Est-il devenu normal de gouverner en temps de crise ?

AB : Je pense que oui, même s’il serait faux de dire qu’avant la pandémie tout allait bien et que maintenant nous sommes dans un état de crise permanente. Nous avons connu des moments très difficiles par le passé, mais les conséquences pour la société ont été différentes de celles de la crise du Covid-19. La situation en Ukraine s’était déjà sérieusement détériorée en 2014, même si le conflit qui a commencé en février 2022 a pris des dimensions qui nous inquiètent énormément. Cela dit, nous sommes devenus plus attentifs à cette insécurité et nous y sommes préparés.

SUI : Le système fédéraliste suisse est-il en mesure de faire face à cette nouvelle donne ?

AB : C’est un système très résistant, qui absorbe les chocs et y répond. Nous ne réagissons peut-être pas toujours aussi rapidement que les autres, mais même pendant la crise du coronavirus, nous avons pu constater que le fédéralisme n’est pas un obstacle. Comme nous l’avons vu lors de la pandémie, nous devons maintenant apprendre à poursuivre notre fédéralisme d’une manière un peu différente, avec plus de flexibilité.

SUI : Cet hiver et probablement les hivers suivants, les Suisses devront vivre avec la menace d’une pénurie d’énergie. Le pays est-il prêt à répondre à une crise énergétique ?

AB : La question énergétique est déjà à l’ordre du jour depuis longtemps, avant même la guerre en Ukraine. Il faut s’attendre à ce que les prix de l’énergie se stabilisent à un niveau élevé. Mais le gouvernement, les cantons et les entreprises concernées ont pris les mesures nécessaires en matière d’approvisionnement. Il faut rester prudent et suivre les recommandations, mais je crois qu’on peut être relativement serein pour cet hiver.


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SUI : Si la Suisse parvient à passer cet hiver sans pénurie, le problème ne sera pas résolu. Quelles sont les solutions à long terme ?

AB : La Suisse a une force qui fait l’envie de nombreux pays : nous avons une très forte proportion d’hydroélectricité dans notre mix énergétique. Ces derniers mois, des travaux impressionnants ont été réalisés pour que les barrages soient au niveau maximum, ce qui n’est normalement jamais le cas à cette période de l’année. Il est donc possible de gérer nos réserves, même si cela ne suffit pas.

La diversification des sources d’énergie est essentielle et notre pays a encore du travail à faire dans le domaine des énergies renouvelables. La stratégie énergétique du gouvernement doit maintenant être mise en œuvre. Il est également extrêmement important de rester en contact avec les pays qui nous entourent. Nous faisons partie d’un réseau mondial – l’isolement n’est pas une option.

SUI : En tant que président suisse, vous jouerez également un rôle central dans la politique européenne en 2023. Est-il possible que les négociations reprennent bientôt, après l’abandon des pourparlers sur un accord-cadre en mai 2021 ?

AB: La Suisse a un intérêt fondamental à une relation stable et bien structurée avec l’Union européenne. Depuis quelques mois, nous avons des entretiens exploratoires avec Bruxelles, et ceux-ci montrent des progrès. Le gouvernement devra maintenant faire le point sur ces discussions et décider comment les poursuivre.


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SUI : Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la neutralité suisse a fait l’objet de nombreuses critiques à l’étranger. Pour l’instant, le gouvernement a décidé de ne pas modifier sa politique de neutralité. Le statu quo est-il durable ?

AB : C’est la seule option ! La Suisse est un pays avec une très longue tradition humanitaire. Son rôle dans les conflits internationaux est stable, clair et bien défini depuis longtemps, ce qui est une grande force. La Suisse est neutre, mais pas indifférente ! Le conflit en Ukraine nous l’a rappelé avec une force particulière.

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